Un genre pas très féministe

Les hommes - alliés ou aliénés du genre ?

Claudy Vouhé - Consultante, Militante et Formatrice en genre et développement
Source : genreenaction.net

Je viens d’étudier plus de 200 dossiers de candidatures pour une formation en genre, dont près d’un tiers envoyé par des hommes : chercheurs, responsables de projets ou de politiques, « points focaux genre », expert ou formateur en genre etc. Leurs profils sont variés, tant au niveau de leur discipline qu’en termes d’âge, d’appartenance ethnique ou religieuse. De plus en plus d’hommes s’intéressent donc à l’approche genre. Tant mieux !? Pas si sûr …

Dossier après dossier, le même constat : ces hommes veulent des outils et des connaissances pour « mieux prendre en compte le genre dans leurs activités et leurs organisations et contribuer à la promotion des femmes... parce que les femmes sont centrales au développement, parce que les projets ne peuvent aboutir si elles ne sont pas impliquées, parce que le développement ne peut se faire sans elles … parce que le genre est inscrit dans le cycle du projet ». Certains annoncent clairement qu’il s’agit d’étoffer leur CV, d’être plus performant, voire de se positionner dans un secteur où la présence des hommes est nécessaire au nom de la parité, de la mixité, du passage de « femmes » à « genre ». Dans ces dossiers, le genre qu’évoque les hommes rime avec profession et organisation, pas avec justice et politique. Le changement attendu, c’est l’efficacité du développement, pas la liberté pour chacun et chacune de choisir sa vie, de décider de son corps et de son sort sans discrimination liée au sexe.
Seuls quelques hommes évoquent leur malaise – mais pas de révolte - face aux rapports inégaux entre les sexes, les non-droits et l’injustice. Peu parlent de leur vécu d’homme face au diktat de « l’hétéro-normativité », de leur envie de changer les relations de pouvoir entre les femmes et les hommes, et donc de changer les hommes … en commençant par eux-mêmes. Pas de témoignage d’hommes qui militent pour l’égalité hors de leur cadre professionnel.

« S’intéresser au genre » dans sa version professionnelle est de plus en plus facile et indolore, alors que le combat politique pour l’égalité est de plus en plus ardu et dangereux. En témoignent celles et ceux qui continuent à se battre de par le monde, parfois au risque de leur vie, pour faire changer les mentalités et avancer les droits. Ce grand écart entre l’institutionnel et le politique est alarmant. Alors que les mouvements de femmes sont aussi de plus en plus ONG-isés, que les projets genre phagocytent les projections féministes, faut-il voir comme un risque supplémentaire d’instrumentalisation le fait de composer avec des hommes dont la motivation profonde n’est pas la remise en cause des rapports de force entre les sexes et leur nécessaire renégociation ? Il ne s’agit évidemment pas de fermer la porte aux hommes car la révolution des rapports de genre ne se fera pas sans eux. Mais alors, de quel genre d’hommes l’égalité a-t-elle besoin ? Profil attendu …

Il faut que les hommes qui « s’intéressent au genre » cessent de voir dans l’approche genre un simple outil de développement ou un atout professionnel, mais s’en emparent en tant que puissant vecteur de transformation radicale des rapports de domination du masculin sur le
féminin, de mise à mal du patriarcat sous toutes ses formes. Qu’ils osent se lever en public pas seulement pour défendre les femmes discriminées mais pour accuser les hommes discriminants ; pas seulement pour protéger les femmes victimes de violence mais pour condamner leurs bourreaux ; pas seulement pour soutenir les femmes qui veulent entrer en politique mais pour exiger des hommes qu’ils partagent le pouvoir avec elles ; pas seulement pour défendre les services de la petite enfance si précieux aux femmes – et pour cause ! – mais pour montrer l’exemple et mettre au défi leurs congénères de prendre enfin leur place dans la vie domestique et le soin des enfants au quotidien. Qu’ils défendent l’idée qu’on peut être homme sans être ni dominant ni dominé, sans être forcement hétérosexuel. Qu’ils dialoguent avec les hommes et pas seulement avec les femmes sur la déconstruction des normes genrées … Qu’ils innovent pour développer des techniques permettant aux femmes de lutter contre la domination masculine et pas seulement de puiser de l’eau ou d’obtenir du micro crédit ? Qu’ils ne se contentent pas de faire du genre « sage » dans le cadre logique qui fait plaisir aux bailleurs, rassure les hommes, attendrit les femmes … et laisse les privilèges du masculin – donc les leurs - en place. Qu’ils questionnent leur propre rapport au genre, à leur sexe et à l’autre sexe*!

En lisant une ébauche de cet éditorial, une « ami-litante » m’a dit : « Je ne crois pas à une génération spontanée d’hommes féministes. Je crois à des jeunes hommes ou garçons qui ont réfléchi à leur propre rapport à la domination et à l’injustice ... ». On est d’accord, et le fruit de cette réflexion-là ne se fige pas dans un cadre logique, ne se résume pas à un programme sous-financé de 5 ans avec gestion axée sur les résultats !
Il ne s’intègre pas « à toutes les étapes de la programmation », ne s’inscrit pas dans la politique des bailleurs, ne se valorise pas dans un CV. Il marque toutes les étapes de nos existences, professionnelles et privées. Il construit, oriente, balise nos vies de femmes et d’hommes … il peut les détruire aussi. C’est vers cette conscience du genre que nous devons aller, et il me semble, en relevant le nez de mes dossiers de
candidatures, que les hommes ont plus de chemin encore à parcourir que les femmes.

* je suis évidemment consciente que ce que j’écris sur les hommes est en grande partie aussi valable pour les femmes !